[Tlc] C-EFEO

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Sun Feb 22 14:49:53 PST 2009


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justin

Entre l'Ecole française d'Extrême-Orient et le Cambodge, c'est une histoire de plus d'un siècle d'amour, pour la sauvegarde de la culture khmère et la restauration de ses monuments. L'EFEO nous ouvre en exclusivité ses portes.

Patrice de Meritens
Par Vishnou aux bras multiples, par Indra perché sur l'éléphant à trois têtes, par le grand serpent Naga dont le corps servit au barattage de la mer de lait d'où surgit la liqueur d'immortalité, tout commence en vérité sur le bitume parisien, au 22, avenue du Président-Wilson, où se dresse le porche de l'Ecole française d'Extrême-Orient (Efeo). A un jet de pierre du musée Guimet, hanté par ses créatures hindoues et bouddhiques, ses visages aux sublimes sourires, ses sages en éveil, ses dieux et chimères de grès rose et gris. L'accord a été donné par le directeur en personne, le sinologue Franciscus Verellen : l'Efeo nous ouvre en exclusivité les portes de ses centres de recherches khmers. Fragment d'empire, assurément, car l'Ecole couvre l'Asie entière, de l'Inde au Japon en passant par la Chine, la Corée, et bien évidemment l'Indochine : Vietnam, Laos, Cambodge.
Roissy, envol du soir.
On vous nourrit, et le voyage passe comme dans un rêve car, en filant vers le Levant, la nuit se change en aube de sang et d'or, puis en soleil de neige, pour se décolorer au fil d'un espace abrégé, grisailler et noircir, tandis que vous vous réveillez à peine. Vous voici arrivé dans l'obscure et moite Phnom Penh. Vous avez perdu ou gagné une journée, selon votre caractère. Il ne vous reste plus qu'à digérer le décalage horaire en allant de nouveau dormir. Fantasme d'Asie : vous êtes dans une chambre fleurant la naphtaline, le jasmin, lambrissée de palissandre, avec un lent brasseur d'air au-dessus de vous. Sous la moustiquaire, allongé sur le drap frais, vous songez à votre itinéraire du lendemain : le Musée national, où niche l'atelier de restauration de sculptures dépendant de l'Efeo, jouxte quasiment le palais royal, au bord du fleuve. Phnom Penh a grandi au confluent du Mékong, de la rivière Bassac et du Tonlé Sap qui s'étire, grand lac paresseux et prodigue, vers le nord-ouest du pays. Au moment des pluies et des crues, il arrive que Bertrand Porte, responsable de l'atelier, soit obligé d'accoster au musée en retroussant son pantalon, pieds nus, mollets dans l'eau, car le fleuve vient lécher les premières marches. Les cris des perroquets de Phnom Penh valant les klaxons des motos et scooters, pas besoin de réveil. Odeur d'humus, soleil du matin, et puis la pleine ville. Rendez-vous en bout de galerie du musée, vaste bâtisse datant de 1917, en béton colonial, d'un rouge éteint, aux façades inspirées des temples khmers, aux frontons de bois sculptés, aux toits aériens. Sur l'esplanade, végétation tropicale : cocotiers à huile, bananiers éventails que les Français nomment « arbre du voyageur ». Vous grimpez l'escalier, passez devant le guichet du musée, longez la galerie. Vous voici devant une double porte noire verrouillée la nuit par un vieux cadenas. A l'intérieur, hormis l'ordinateur, tout est dans son jus, dallage ancien, murs crème maculés de poussière d
e pierre, et longue réserve rouge sombre où, par le toit ouvert, filtre un morceau de ciel.
En ce XXIesiècle, quoi de neuf en matière de restauration?
Caverne aux trésors blessés : sculptures mutilées ; panneaux de bois crevassés ; stèles partiellement délitées ; tronc grassouillet du roi Jayavarman VII, le plus puissant souverain d'Angkor. Et pendu entre sol et plafond par un palan coulissant au long d'une poutre métallique, un Vishnou colossal et manchot...
Bertrand Porte, issu des Beaux-Arts de Tours, spécialiste en conservation de statuaire, brun, carré, souriant, œuvre avec une équipe khmère de six personnes, de 24 à 50 ans. A chacun sa part d'excellence : le coup d'œil ingénieux du plus âgé ; la main dévotieuse de la plus jeune ; l'habileté, la force, la précision de tous. Bertrand Porte circule entre Phnom Penh, Da Nang et Saïgon ; étudie la sculpture cham ; fait l'inventaire des inscriptions préangkoriennes ; organise des expositions internationales : Paris, Washington, Tokyo... ; et travaille dans une perspective muséographique avec le directeur du Musée national de Phnom Penh, Hab Touch, qui conduit de main de maître l'établissement qui l'héberge. Quoi de neuf, en ce XXIe siècle, en matière de restauration ? Etre documenté, agir au plus léger, souvent au mortier très fin, et faire en sorte que toute opération soit réversible.
Nous avons quitté la capitale, filant entre rizières et eucalyptus...
La vieille dame va fêter ses 111 ans : fondée en 1898, l'Efeo a incarné la part humaniste du protectorat. Elle a souffert durant la Seconde Guerre mondiale : Georges Groslier fut torturé à mort en 1945 par les Japonais. Trente ans plus tard, en 1975, elle prenait le chemin de l'exil tandis que s'abattait la nuit du génocide et de l'esclavage. Employé à la conservation d'Angkor, François Bizot a raconté l'horreur khmère rouge dansLe Portail. Après la « libération » par les Vietnamiens en 1980, il faudra encore dix ans avant que les architectes et archéologues français puissent se remettre à l'œuvre. Les deux centres tournent à plein régime aujourd'hui. A Phnom Penh : relations avec les autorités cambodgiennes ; études sur les multiples sites - notamment dans le delta du Mékong - conduites par Eric Bourdonneau ; inventaire informatisé des milliers de manuscrits religieux recueillis par Olivier de Bernon. A Angkor : restauration monumentale et nouvelles études archéologiques.
Nous avons quitté la capitale par la route n° 6 et, remontant vers le nord-ouest au large du Tonlé Sap, entre rizières et eucalyptus, évitant poules, canards, et vaches à bosses, passant par un village de tailleurs de pierre, franchissant l'antique pont de latérite construit au XIIIe siècle, nous sommes arrivés à Siem Reap, ville qui jouxte le célèbre site d'Angkor. Siem Reap signifie « Siamois vaincu ». Dans ces deux mots, des siècles de castagne.
L'Efeo est située au bord de la rivière. Groupe de maisons blanches aux toits à pans coupés, au milieu des palmiers et bananiers, un air d'exotisme, de bois et de béton mince des années 50, ensemble que Christophe Pottier, arrivé en 1992, a rénové et modernisé. C'était plus que nécessaire. Tout le Cambodge a été traumatisé, à commencer par son peuple.
Pottier, au physique de nerfs et d'os, est l'architecte qui a restauré les célèbres terrasses royales : celle « du Roi Lépreux », sous la direction de Jacques Dumarçay, avant de diriger lui-même les travaux de la terrasse « des Eléphants ». Responsable du centre de recherches de Siem Reap, il dirige aujourd'hui la mission archéologique franco-khmère sur l'aménagement du territoire angkorien, dont les premières campagnes de fouilles se sont attachées à l'étude des phases initiales d'occupations historiques. Par le biais de la télédétection, de photographies aériennes et de constantes explorations sur le terrain, il parachève la cartographie, découvrant le semis quasi régulier de petits sites homogènes, de zones d'habitats couvrant en nébuleuse l'ensemble de la région. L'anti-cliché, en somme, du site d'Angkor conçu ordinairement comme une concentration de gros monuments.
Dans la maison d'en face œuvre un autre architecte, Jacques Gaucher, dont les recherches sur Angkor Thom - cité fortifiée construite par Jayavarman VII, carré merveilleux regroupant notamment le Bayon, le Baphuon, et les Terrasses - ont permis, par le biais de maillages, carottages, relevés de vestiges cultuels, hydrauliques, défensifs, de faire reculer définitivement l'image d'une forêt dévorante au profit d'une vraie ville, grouillante de vie, dont l'organisation transcrit plus complètement et plus précisément les concepts de l'urbanisme indien qu'aucune autre cité ancienne dans le sous-continent.
Reste, pour le bonheur des yeux, la partie la plus spectaculaire. Chercheuse associée à l'Efeo - spécialiste de Jayavarman VII (1181-1218), toujours lui !, qui chassa les Chams et rétablit la puissance de la dynastie khmère -, Hedwige Multzer O'Naghten nous conduit avec science et poésie dans le dédale d'Angkor. Elle raconte l'histoire de Tcheou Ta-Kouan, Chinois de la fin du XIIIe siècle, venu en qualité d'accompagnateur d'une ambassade de la dynastie Yuan. Il s'émerveilla des femmes des maisons nobles, «blanches comme le jade» parce qu'elles ne voyaient jamais les rayons du soleil. Armées de lances et de boucliers, nues jusqu'à la ceinture, elles formaient la garde rapprochée du roi. Entre naïveté et perfidie, Tcheou se fit l'écho des superstitions du peuple qui affirmait que le souverain couchait dans sa Tour d'or avec un génie, un serpent à neuf têtes, maître du sol et de tout le royaume, qui lui apparaissait toutefois en femme...
Pour la dévotion des foules, on ouvre les yeux du grand Bouddha
Rassurés par ce dernier détail, nous voici parvenus au Baphuon, temple-montagne shivaïte du XIe siècle, d'une hauteur de 35 mètres, image du séjour des dieux sur terre, à l'instar du mont Meru, montagne mythique et axe du monde. L'architecte Pascal Royère en a aujourd'hui la charge. L'homme est grand, bien découplé, brun de peau et de cheveux, sans doute assez ombrageux, mais s'éclaire soudain, avec l'accent léger et chantant de la Haute-Garonne lorsqu'il évoque sa mission. Commencé en 1960, arrêté en 1970 à cause de la guerre civile, puis des Khmers rouges, le chantier a repris en 1995. Colossal travail de ceinturage intérieur en béton de cette structure pyramidale à trois terrasses, dont le remplissage de sable pesait sur l'enceinte de latérite et de grès au point qu'en 1943, un quart du bâtiment s'était brusquement effondré.
Cent quatre-vingt-neuf personnes œuvrent dès 7 heures du matin : charpentiers, maçons, coffreurs, tailleurs de pierre et forgerons. Le ceinturage est achevé. On travaille à la remise en place des 300 000 pierres déposées dans les années 60, au remplacement des parties manquantes, à une harmonieuse restauration de la décoration, de manière à rendre sa lisibilité à l'ensemble.
Et puis, façade ouest, il y a le fameux Bouddha couché, parvenu au nirvana, haut-relief appareillé en grès de plus de 70 mètres de long sur 12 mètres de haut. De cinq siècles postérieur au Baphuon shivaïte, cet étonnant vestige archéologique de la période post-angkorienne apparaît comme le fruit d'une sorte de règlement de compte entre spiritualités : une grande partie de ses pierres ont été prélevées sur le Baphuon lui-même, contribuant à sa fragilisation. Un travail de Barbares. Pas question, pour les archéologues des années 60, de conserver cette pustule. On prévoyait de rendre au monument ses matériaux volés et son initiale splendeur. Et puis le monde a changé, et l'Efeo du XXIe siècle ne se pose même plus le problème : l'histoire primant sur l'esthétique, le Bouddha a été consolidé. Le roi du Cambodge l'a inauguré au printemps dernier. On a ouvert les yeux de la statue, pour la rendre à la dévotion des foules lorsque le chantier sera définitivement clos, en 2009-2010. Ainsi, reflet de son propre temps, l'Efeo ne fait pas que restaurer, elle raconte désormais la légende des siècles.[Fin]

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Dr. Justin McDaniel
Dept. of Religious Studies
3046 INTN
University of California, Riverside
Riverside, CA 92521
951-827-4530
justinm at ucr.edu



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